Son histoire commence à Londres il y a vingt ans. Le jour de la mort de ses parents.  Le jeune Killian, alors âgé de dix ans seulement, jouait dans sa chambre avec toute la gaieté d’un enfant insouciant lorsqu’un cri retentit dans le petit appartement. Il s’était précipité vers sa source, inquiet pour sa mère qui ne s’affolait jamais, et pour son père, que jamais rien n’effrayait. C’est alors que sa vie a basculé.

Il ne se souvient pas de tout, mais il se souvient du sang, des rires cruels et repoussants, et le fixant du sol où ils étaient tombés, du regard vide de ses parents. Les Darkangels qui venaient de les achever le terrorisèrent et l’enlevèrent pour satisfaire leur capricieux amusement. Comme dans une expérimentation perverse, ils avaient décidé de le garder quelques temps en captivité, de le torturer pour le briser, puis de le changer pour en faire un serviteur dépourvu de volonté. Et lui, devant toute l’étendue de sa jeunesse et de sa peine, n’avait rien pu faire d’autre que de s’y résigner. Mais le destin, bien que l’ayant pour toujours abîmé, avait pour lui d’autres projets. Alors qu’il contemplait le mur de son regard las et vide et qu’il commençait à souhaiter ne jamais se réveiller des matins où il s’endormait, les chasseurs avaient surgi de nulle part, presque aussi vifs que les créatures des ténèbres. Ils avaient tué les premiers Darkangels qui s’étaient dressés sur leur passage et les autres, trop lâches pour les affronter, avaient fui, le laissant aux mains bienveillantes des chasseurs qui, à défaut d’apaiser son esprit, avaient pu sauver sa vie. Ils lui avaient offert un simple choix : celui de se cacher, de laisser ses assaillants s’en tirer, ou celui de se battre et de les traquer jusqu’au dernier. Killian n’avait pas eu à hésiter.

D’abord motivé par la vengeance, son entraînement avait été impitoyable, exigeant de lui bien plus qu’un mol engagement. Et il s’était noyé dans un tourbillon de rage, de chagrin et d’acharnement qui lui avait coûté une parcelle de son âme que sans doute jamais il ne récupérerait. C’était une partie de son être qui était morte, enterrée avec ses parents depuis bien trop longtemps pour être ressuscitée.

Trois ans plus tard, il avait commencé à chasser, comme un animal sauvage, encore à vif et acculé, mais au fil du temps, ses techniques s’étaient affinées. Sa précision accentuée. Et la froide efficacité avait volé sa place aux plus maladroits essais, jusqu’à ce que sa réputation précède chacune de ses actions.
Il avait retrouvé les meurtriers de ses parents et s’y était confronté, trouvant dans leur vengeance comme un déclic qui l’avait apaisé. Il avait alors compris que la vie ne se résumait pas à chasser et tuer ou être tué. Avec un peu de bonne volonté, il avait appris à se sociabiliser, avait flirté, était tombé amoureux, et s’était marié dans la foulée. Cette époque constituait les jours les plus radieux de son existence. Mais hélas, cela n’avait pas duré : la chasse la lui avait enlevée.

Il l’avait pleuré, maudit la vie et renié le Dieu en lequel elle croyait, mais les derniers mots de son amour sur son lit de mort l’avaient empêché de s’effondrer. « Vis, lui avait-elle dit. Ne te laisse pas submerger par la haine ou les regrets, je te l’interdis. Je t’aime et je sais que tu m’aimes aussi. Si tu veux honorer notre amour, je t’en prie, aime à nouveau quand je serai partie. » Il avait promis. Alors il avait tenu bon, empêchant la haine de s’insinuer en lui comme un poison.

Désormais il vit sa vie simplement, prenant plaisir à chasser ; et lorsqu’elle était arrivée deux semaines auparavant, il avait accepté sans hésiter la proposition que l’Académie lui avait adressée. Il allait devenir un de leur Gardiens car la vie avait forgé en lui une obsession dont il ne pourrait sans doute jamais se débarrasser : celle de protéger tous ceux qui l’entouraient.

J’ai vécu des moments difficiles, c’est vrai, une période sombre pendant laquelle je me suis renfermé dans la violence et l’agressivité. Mais je ne suis pas cette personne, je ne l’ai jamais été. D’un naturel calme et gentil, je ne vois pas l’intérêt de répandre le mal autour de moi. Malheureusement, d’autres s’en chargent déjà.  J’aime mes secrets, et je suis peut-être parfois d’une distance un peu exagérée mais la plupart du temps, je suis ouvert aux autres et préfère les voir rire que de voir sur leurs visages des expressions emplies de gravité. Ma vie me satisfait, surtout depuis que je l’ai aperçue dans les couloirs de l’Académie. Cette petite brune que je n’ai pas su quitter des yeux avant qu’elle ait disparu dans les allées. Et si mon passé me hante encore parfois, je sais que la plupart des gens vivant à l’Académie traînent derrière eux un passé douloureux. Je n’ai plus le droit de pleurer sur mon propre sort. Je dois me montrer fort, impitoyable et intouchable pour pouvoir les protéger. Car je ferais tout pour leur sécurité, quitte à les trahir et à m’en faire détester, il n’existe en ce monde aucune chose qui puisse me faire reculer.